En tout cas l'argumentation e silentio : conclure à la non-existence des cartes ... dans une époque quelconque seulement par le fait qu'elles ne sont pas mentionnées, est hasardeux. Le silence des auteurs et des lois peut avoir une toute autre cause, qui nous échappe.
En tout cas, on trouve mention expresse des cartes en 1377, quand le Prévôt de Paris défend de jouer les jours ouvrables. « Paumes, boules, cartes, dés, quilles »
En Italie, un décret du 23 mars 1375 des prieurs de Florence dit notamment : « Messieurs les Prieurs, voulant combattre les mauvais principes, ayant ouï dire qu'un certain jeu qui s'appelle naibbe a pris pied dans cette région ». Ce jeu des naïb s'était répandu d'une manière telle que le fisc en fut intéressé, un décret de mars 1 376 établissant que les droits de douane sur ce jeu ont dûs être relevés. La chronique de Viterbe note qu'en1 379 « fut apporté à Viterbe le jeu de cartes, par un sarrasin du nom de Hayl ».
Il en va de même dans pratiquement toute l'Europe méridionale : les cartes à jouer sont mentionnées au plus tôt vers la fin du XIIIe siècle, et pendant tout le XIVe, on les trouve mentionnées très souvent. La mention expresse faite dans la chronique de Viterbe porte à croire que les cartes nous sont venues de l'Orient, d'où elles auraient pu pénétrer par voie de mer.
La plus ancienne représentation d'un jeu de cartes se trouve dans un manuscrit écrit pour Louis II, roi de Naples, et figure des cartes numérale du genre Tarot.
Et maintenant une importante question se pose. On s'est servi pour désigner les cartes à jouer, depuis le XIIe siècle jusqu'au commencement du XVe, de toute une série de termes différents, mais jamais du mot « Tarok » ou Tarot. Quand donc celui ci a-t-il commencé à être employé ? Il est bien curieux que ce nom n'apparaisse que relativement tard, c'est à, dire au cours du XVe siècle et pour indiquer précisément ce qu'il signifie aujourd'hui : des cartes numérales spéciales, accompagnées de cartes emblématiques.
On a cru longtemps sur l'autorité de Garzoni (fin du XVe siècle), que ce mot se trouve pour la première fois chez Raffaël Maffi, dit le Volterran, dans ses Commentaires urbains, écrits en 1 480 et publiés à Rome en 1 506. Il a été répété par plusieurs auteurs, que Volterran avait distingué les Tarots des cartes communes et en les considérant comme un jeu d'invention relativement récente. Voici ce que Garzoni écrit dans son Discorso LXIX : « Alcuni altri son giuochi da taverne, come la mora, le piastrelle, le chiavi, et le carte o comuni o tarocchi di nuova invenzione secundo il Volterrano » - « Il y a encore quelques autres jeux, mais de taverne comme celui de la mora, des disques, des clefs et des cartes, soit les communes, soit les tarots récemment inventés suivant le Volterran ». Un autre auteur italien, le comte Cicognara (1 831), suppose que cette invention a été faite par François Anteminelli Castracani Fibbia, prince de Pise, mort en exil à Bologna, en 1 419.
Ce sont là de bien étonnantes assertions. Il est invraisemblable au plus haut degré que si le Tarot n'existait pas encore au commencement du XVe siècle, alors que les cartes communes ou françaises du type moderne étaient utilisées depuis longtemps, il ait pu venir à l'esprit de qui que ce soit, de substituer à ces cartes simples et de facile lecture, des cartes à signes compliqués et aussi difficiles à lire que le sont les cartes du Tarot. Et il est encore plus incroyable que le public « des tavernes » les ait acceptées. Heureusement, il a été démontré par Merlin (1 869), l'excellent historien des cartes, que le texte du Volterran, auquel Garzoni fait allusion, est de pure invention ; Maffi écrit seulement : « Chartarum vero et sortium divinationis ludi priscis additi sunt ab avaris et perditis inventi » - « Aux jeux des anciens sont venus s'adjoindre les jeux des cartes et la divination par les sorts, invention d'hommes cupides et dépravés ». Garzoni a dû citer de mémoire et mal.
Quant à Fibbia, il semble bien qu'il a simplement inventé une nouvelle manière de jouer avec les cartes existantes du Tarot. Il en a ôté 16 cartes numérales (les Deux jusqu'aux Cinq) et il a établi les nouvelles règles d'un jeu qui s'est appelé depuis « le Tarocchino di Bologna » (le petit Tarot de Bologne). Cela a dû avoir lieu comme de nos jours où l'on est passé du Whist par le Bostontridge, à l'Auctionbridge, et toujours avec les mêmes cartes. Le Tarot du XVe siècle était donc composé précisément comme celui d'aujourd'hui. |
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